Dans la boue

Fuir encore la route

Écrit par Estelle pour le .

L’appel du muezzin avant le lever du jour est notre signal de départ. La journée va être rude, nous le savons. Nous avons seulement 30 kms à parcourir mais nous commençons à comprendre que nous pouvons difficilement nous fier aux données topographique que nous avons. Les 20 premiers km devraient être faciles, nous nous attendons donc à quelques surprises.

Par chance, Marc a réussi ce matin à changer la vis du follow-me qui s’était rompue hier. Lucie qui était prête à y aller seule est bien heureuse et soulagée de pouvoir être rattachée. Avant de partir avec les premiers rayons du soleil, nous nous arrêtons au centre du village pour faire le plein d’eau à la fontaine. Il y a du monde ici ! Tous les travailleurs semblent s’arrêter remplir leur réserve d’eau avant d’aller travailler. On a beau avoir découpé petits tronçons par petits tronçons pour être au plus proche des dénivelés dans nos calculs, ce qui semblait plat ressemble beaucoup plus à un beau paysage vallonné.

Fatigués

La fatigue de l’étape d’hier se fait sentir dès le début alors nous rappelons aux enfants que nos muscles sont froids mais qu’une fois chauds, cela devrait aller mieux. Les muscles se chauffent enfin. On enchaine les montées. Le dénivelé n’est pas trop important mais c’est toujours fatiguant ces successions de longues côtes et cela peut vite démoraliser.

Arrivés à un sommet les enfants demandent à s’arrêter pour manger. On leur avait promis un chocolat chaud mais rien à l’horizon et le prochain village est à 4 kms. Tous d’accord nous poursuivons.

En dehors des grandes villes, il y a peu de cafés ici. Il y a des terrasses jouxtant des petites épiceries faisant office de café mais en règle générale les boissons chaudes sont assurées par des distributeurs de boissons. Ces machines à café, nous les croisons partout, y compris au milieu d’un village entre 2 rues sans rien d’autre autour.

Ca monte, descend, remonte. Nous arrivons à Rouen. Repartir après la pause peut être difficile. Il faut bien calculer le temps pour que ce soit reposant mais pas trop refroidissant pour les muscles. Peu de temps après la pause petit déj, Lucie commence a douter. Léon vacille. La peur de ne pas y arriver. Nous nous regardons avec Marc et nos regards en disent long. Oui ce sera dur. Mais nous allons y arriver. Nous n’avons pas vraiment d’autres choix. La pluie est annoncée dès 11h et ensuite la neige et le gel.

Nous avons manqué de vigilance sur la tente. Après un an nous avons besoin de refaire quelques réparations car l’étanchéité est moins bonne. Mais nous avons totalement omis de nous en occuper pendant notre grande pause hivernale. Passer de 26 degrés à -2 se fera donc plus facilement au chaud !

La montée vers la forêt

La grande montée démarre. Et nos pieds se posent à terre très vite. Un peu plus de 6 kms sur route puis 4 kms de piste nous attendent. La pluie démarre avec la côte. Alors que je me demande comment les choses vont se passer avec cette pluie et que j’échafaude dans ma tête des projections sur le meilleur moyen d’avancer plus vite, je m’arrête.

Je prends le temps de regarder la pluie, de la sentir. C’est désagréable ? Non. Même plutôt le contraire car elle est fine et douce. Alors c’est un problème ? Non. Je repars tranquillisée, roulant à mon rythme, simplement attentive aux enfants.

Petit à petit la tension monte chez eux, il va falloir s’arrêter pour manger. Pour le moment nous sommes au milieu de nulle part et totalement exposés au vent et à la pluie. Entre le 26° d’hier et aujourd’hui, les températures ont brutalement chuté. C’est dur pour nos corps. Avec l’effort, on passe de trop chaud à froid lors des descentes à pieds pour aller chercher mon vélo ou celui de Marc.

Un homme s’arrête sur la route. “Vous allez où ?! Il n’y a rien après ici, la route s’arrête.” Oui, nous le savons.

Nous atteignons enfin le dernier village. On nous indique un abri pour cuisiner. Nous commençons à avoir un peu froid alors j’aide Lucie a se changer complètement pour la maintenir bien au chaud. C’est un peu moins physique pour elle, ce qui fait qu’elle peut se refroidir plus facilement. Surpris par la pluie tout à l’heure, Marc n’a pas eu le temps de lui sortir ses vêtements de pluie, les siens sont donc bien mouillés.

Nous rencontrons Selimi. Il a travaillé 20 ans en France dans le bâtiment. Il tient à nous payer quelque chose mais je n’ai besoin de rien. Alors il me demande d’attendre un petit peu et part. Il revient quelques instants plus tard, les bras chargés d’un sac de courses pour nous. “C’est pour les enfants” me dit-il…

Nous rejoignons Marc pour manger. L’appel du muezzin retentit et nous en profitons pour nous arrêter simplement dans ce que nous sommes en train de faire, debout, et s’offrir cette opportunité comme un temps de méditation, de retour en soi.

Selimi habite juste derrière l’abri où nous prenons le repas. Nous le recroisons donc un tout petit peu plus tard. Il viendra nous retrouver en nous offrant une omelette toute fraiche, vraisemblablement cuisinée pour nous. Puis nous demandant de quoi nous avons besoin, nous osons lui demander un petit café avant de repartir sur la route. Une fois de plus nous sommes touchés par cette générosité. Cet accueil si prévenant.

En piste !

C’est reparti. Il nous reste seulement 5 km de piste avant d’atteindre une auberge de montagne. La piste est boueuse et caillouteuse. Nous poussons rapidement de nouveau les vélos à deux. Léon arrive à se débrouiller seul ou avec l’aide de Lucie qui, elle, doit marcher pour soulager Marc.

Nous nous étonnons du calme intérieur que nous ressentons. Nous prenons conscience que ces derniers km vont vraiment être très longs mais nous ne nous sentons par pressés par le temps. La pluie, quant à elle, revient plus forte. Et avec elle la difficulté du chemin sablonneux argileux s’accroît grandement.

Alors que je m’arrête un moment, je ressens une inquiétude. Allons nous réussir a atteindre l’auberge ? Si nous devons installer le camp ici, comment allons nous faire pour les courses ? Il y a 2 km jusqu’aux boutiques les plus proches et tout est boueux. Avec le froid qui tombe en plus cela nous semblera bien long…

Mon regard est alors attiré par des bourgeons qui s’ouvrent puis des gouttelettes en suspension, minuscules, sur de fines branches, créant comme des guirlandes de lumière. Une paix profonde s’installe en moi. C’est tellement beau.

Oui, bien sûr nous allons y arriver. Je me sens encore ralentir à l’intérieur comme si la nature venait de montrer une fois de plus le chemin. Le juste effort. Le bourgeon ne force rien pour grossir plus vite, l’herbe autour ne croît pas en tempêtant contre les éléments et pourtant tout pousse, tout avance. L’effort ne se voit pas mais la croissance est pourtant là, en harmonie avec le reste. Cela me fait penser à l’attente d’un enfant. Un des rares moments de l’existence où l’on se donne pleinement, s’abandonnant au temps qui passe, portées par le savoir inconscient qu’en nous croît la vie. Rien ne se voit de l’extérieur et pourtant tout est en train de se mettre en place pour s’accomplir telle une symphonie splendide et mystérieuse.

Les conditions deviennent vraiment difficiles. Nos vélos se retrouvent totalement bloqués, nos pieds pèsent des tonnes avec la boue qui s’accumulent et ne veut pas lâcher. Les enfants s’amusent “les parents ! regardez on a des pattes de canards !”. Léon invente une nouvelle discipline, “il y avait le patinage artistique maintenant il y a le patinage artisboue”.

Le chemin devient vraiment impraticable. Marcher trop au bord pour éviter les ornières est dangereux. Si nos vélos glissent nous n’arriverons jamais à les remonter. Si nous nous glissons, les vélos tombent et je ne sais pas si nous réussirons à les relever en sortant de l’embourbement. Maintenant nous devons nous mettre à deux pour chaque vélo.

La boue est partout. En 2 tours de roues elle crée des paquets tellement compacts que nous peinons à tout enlever avec des bouts de bois pour avancer. Les crevasses et autres nids de poules nous obligent par moment, lors des virages surtout, à courir pour ne pas rester embourbés au milieu. C’est un drôle de jeu qui devient un art : équilibre, projection des trajets les moins risqués, effort juste pour maintenir les 100 kgs de chargement de mon vélo sans le déséquilibrer et accord et cohérence sans mots dire entre Marc et moi pour trouver l’harmonie juste dans l’effort qui ne va pas mettre en péril l’équilibre de l’autre.

Enfin nous avons tous les 4 aux pieds des chaussures qui n’accrochent pas du tout : bottes légères de pluie pour moi et les enfants et chaussons de plongée pour Marc. Pour autant l’avancée continue !

Sur les 2 derniers km, nous croisons 6 salamandres. Magnifiques. Alors que je dis aux enfants qui commencent à se tendre un peu tous les deux qu’il faut que nous tenions le coup, que nous sommes bientôt au bout, que nous formons une belle équipe d’entraide, que c’est normal d’en avoir marre mais que ce serait dommage, bientôt arrivés, de cracher sur l’autre nos émotions dues à la difficulté de cette étape, car oui, c’est une sacrée étape difficile etc etc etc….

“Oui, t’as raison mais tu vois les salamandres c’est un peu comme le cadeau sur la route maman” me dit Léon. Allez. Ils sont déjà ailleurs. Ils ont déjà changé de direction à l’intérieur d’eux-mêmes. Et je parle peut-être, encore une fois, un peu plus que nécessaire. Allez ! Mais oui ! On y va.

Nous avons attaqué la descente et ce n’est pas mieux du tout. Lucie en a marre mais elle trouve en elle des trésors de patience.

N’avançant vraiment plus, tout étant bloqué et ultra glissant, Marc remontant chercher son vélo, je décide d’accompagner les enfants jusqu’au bout pour les mettre au chaud. Nous finissons par trouver une petite veine d’eau dans laquelle nous glissons les roues de Léon et nous réussissons enfin a avancer beaucoup mieux !

Puis d’un seul coup, les toits de l’auberge tant attendue surgissent enfin ! Hourra ! On a réussi.

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