Le porte-bagage est réparé. Nous pouvons partir. Du moins, nous aurions pu partir ce matin, mais la présence de Rebecca, Bluejay et Journey nous donne envie de rester un peu plus, alors nous délayons.
Mais vient tout de même le moment du départ. Nous sommes prêts et nous reprenons tranquillement la route. Nous longeons la mer, avançons tranquillement sur la côte qui devient plus touristique et occupée. Les plages sont bondées là où “la nôtre” était quasi déserte… Nous campons ce soir face à la mer dans un endroit pas trop bruyant. Les déchets sont partout, le enfants sont furieux.

La route nous éloigne petit à petit de la côte. La campagne de Gourie nous attend. Notre progression se fait dans un paysage paisible, à la végétation luxuriante avec peu de dénivelés. Pourtant, je sens que rouler est difficile pour moi.
L’autoroute en construction ne permet pas encore aux voitures d’éviter la route secondaire que nous finissons par rejoindre. L’application GPS nous promet de pouvoir l’éviter, mais les donnés cartographiques sont inexactes et nous ne pouvons tout simplement pas trouver de passage à niveau pour passer la voie ferrée. Tous les passages possibles conviennent aux marcheurs, mais nos lourds vélos ne sauteront pas le pas.
Arrive une occasion, nous la saisissons. Mais quitter l’itinéraire principal implique de quitter le fond de vallée. Alors nous poussons nos vélos sur les chemins caillouteux et vallonnés. Le soleil commence à taper sérieusement.
En haut de la côte difficile, petite pause ombragée, Vioneta est là avec sa belle-fille Hatuna. Vioneta parle très bien allemand, elle l’a enseigné à l’école pendant des années et est désormais à la retraite. Elle nous propose une pause café que nous acceptons volontiers, les enfants commençant à trouver la chaleur insupportable.
La pause café est agrémentée de sarrasin, de fromage, de ხაჭაპური (khatchapouri) et la conversation est très agréable sur cette terrasse ombragée parcourue par un léger courant d’air.
Nous ne devons pas traîner, partis vers 6h30 ce matin, nous avons vraiment envie de rejoindre une rivière avant la pause de midi et il reste un peu de route. Quelques courses à ლანჩხუთი (Lantchkhouti) et nous piquons vers le nord, quittant les automobiles qui retrouvent, piaffantes et joyeuses, l’autoroute après avoir avancé à la queue-leu-leu et au pas. Une autre facette de cette sensation de liberté que nous éprouvons.

Les chevaux sauvages
Notre route à nous n’a pas reçu le même traitement et c’est sur les cailloux qui nous évoluons. Sous une chaleur de plomb, vaches et chevaux cherchent l’ombre. Ils nous laissent passer sans faire d’histoire, nous accompagnant parfois un peu.
Un portail. Pourrons-nous l’ouvrir ? Oui. Nous passons. Un autre portail. Pourrons-nous l’ouvrir ? Oui. Nous passons encore. Mais quelle chaleur ! Une pause est nécessaire. Nous risquons l’insolation. Un petit coin d’ombre.
Cette route est bien moins simple que prévu.

Arrive enfin la rivière attendue, notre journée va enfin pouvoir ŝe terminer. Je suis épuisé et ruisselant de sueur. La conduite du vélo chargé sur chemin caillouteux est éprouvante à bien des égards et je n’ai pas d’énergie.
Mais la rivière ne tient pas pas du tout ses promesses. Personne ne voudrait se baigner ici. C’est d’ailleurs ce que nous dit l’homme qui garde le matériel de la coopérative agricole sous le pont où nous trouvons un peu d’ombre pour nous reposer.
L’homme nous donne de l’eau fraîche également. Une bonne pause, une petite sieste et nous pouvons aller un peu plus loin trouver le lieu de baignade qu’il nous a indiqué. C’est encore une grosse dizaine de kilomètres mais l’assurance du contact avec l’eau d’une rivière nous motive tous.
Quel soulagement ! Nous dormirons ici ce soir et tout le monde peut se baigner dans ce coin de rivière bien connu de tous les habitants des alentours. La nuit ne sera pas forcément paisible, animée par le feu de camp et les verres de ჭაჭა (tchatcha) engloutis en contrebas, mais nous voilà au terme de notre plus longue étape : 70km parcourus ce jour et dans des conditions difficiles.

Des traces du passé
La campagne de Gourie est très belle, et l’architecture des maisons nous plait beaucoup. Elle est simple et harmonieuse. De grandes terrasses couvertes par des avancées de toit. Vaches et cochons se promènent partout dans les villages, retrouvant le chemin de la maison lorsque vient la nuit. Pas d’immenses champs de monoculture ici mais de l’agriculture paysanne à portée de famille. Des haies, des arbres et toute sorte de végétation sauvage et luxuriante qui viennent égayer le tout de leur présence.

Mais en bord de rivière, dans les fossés, tous ces pieds de datura. Et sur les bas-côtés, même en sous-bois ou au milieu de la végétation dense, l’ambroisie, partout. Nous les connaissons bien ces plantes sauvages, et elles sont bien souvent le signe de sols en bien mauvais état selon l’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices de Gérard Ducerf. L’ambroisie est une plante de désert. Elle s’épanouit sur des sols nus. Particulièrement sur des sols qui ont été trop travaillés (travail mécanique, labour) et/ou qui ont été arrosés copieusement de produits chimiques. Le datura raconte également un sol pollué. À voir l’agriculture pratiquée ici, leur présence nous intrigue. Mais qui sait ce qui se passe en amont de la rivière, qui sait ce qui s’est passé dans le passé plus ou moins proche.
Pente douce
La route du jour évolue tranquillement dans cette belle campagne, entre petites routes et chemins caillouteux, en pente douce. La journée d’hier se fait fortement sentir pour ma part. Vu mon état depuis hier, Estelle a ressorti le nigari pour faire de l’eau magnésienne. Mais je peine et suis à la traine. Pourtant, nous avançons tranquillement et parvenons à Martvili à l’heure du repas. Sur la dernière portion de route, nous avons été chaperonnés par Alika sur son vélo. Il se promenait et nous a accompagnés sur la dizaine de kilomètres. Nous ne parlons pas la même langue, alors nous ne pouvons que comprendre qu’il est intrigué par notre attirail et qu’il a envie d’occuper son dimanche. Depuis son vélo, il fait la circulation, protégeant notre caravane en indiquant aux automobilistes s’ils peuvent passer ou doivent ralentir.
Martvili
Arrivés à Martvili, nous mangeons un bon repas dans une auberge et partageons une bière bien fraîche avec lui. Puis nous allons visiter le magnifique monastère de Martvili. Il est tout en haut de la colline et nous osons emprunter la télécabine étroite et rustique qui nous évite la petite marche ombragée. La visite se fait en tenue décente, aussi me trouvé-je affublé d’un pagne pour couvrir mes genoux alors qu’Estelle et les enfants se trouvent-ils coiffés d’un foulard.
Puis il est temps d’aller à la recherche de notre lieu de couchage. La carte nous propose un point un peu plus haut, allons-y.
Au bord de la rivière, à proximité immédiate d’un restaurant, nous prenons le temps de nous baigner au milieu des Géorgiens qui connaissent bien l’endroit. Autour d’un verre de ჭაჭა et de quelques prunes sauvages, je partage mes réticences sur le fait de poser la tente sur un lieu privé, quand bien même il est parfait pour cela. D’autant que avons tenté d’aller voir les propriétaires pour leur demander l’autorisation mais la préparation d’une fête pour le soir ne nous a pas permis de lier contact et de demander. Mais je suis bien vite rassuré par mes compagnons, aucun soucis pour poser une tente ici, pas besoin de demander, personne ne viendra nous embêter… Est-ce si sûr ?
