L'appel

Et le saut

Écrit par Estelle pour le .

Si le quotidien est parfois un véritable tumulte, celui de l’itinérance ne fait pas exception. Surtout en famille. Les moments d’espace pour chacun sont rares et il faut manier le temps comme un peintre colore sa toile.

Parfois, lors de discussions avec les personnes que nous rencontrons, nous entendons des félicitations pour notre “courage”, parfois une vision erronée d’une vie qui serait juste synonyme de liberté et coupée du monde. Dans les 2 cas je m’interroge.

Il est vrai que souvent, en roulant, nous pouvons être enivrés par cette sensation de liberté que nous procure le vélo même s’il faut de l’exercice, peut-être, pour apprendre à la ressentir malgré le déchainement temporaire des éléments : froid, vent, brouillard givrant ou chaleur écrasante.

Mais si cette notion de liberté remonte parfois chez ceux qui nous en font part, c’est sans doute par sentiment d’en manquer. Et cette projection est alors toujours idéalisée. Car nous sommes, de même, face aux difficultés d’une famille : dans l’accompagnement des enfants, les choix à faire, la gestion du travail…

En quête d’espace

Le manque d’espace mental, nous le ressentons aussi parfois car au quotidien, il y a beaucoup de choses a gérer, surtout lorsque tout commence à aller de travers : tente qui prend l’eau en pleine saison des pluies, réchaud en panne quand la saison froide démarre, trouver de l’eau après une journée de route dans le froid ou le chaud alors que tout le monde veut se poser et que l’on ne sait toujours pas où l’on dort.

Pourtant, oui, c’est vrai, nous nous sentons libres. La liberté ne semble donc pas résider dans l’absence de contraintes, qui, en l’occurrence sont nombreuses en itinérance. Si ce n’est pas cela, peut-être alors que la vraie liberté est surtout intérieure… une fois, bien sûr, que nous avons établi des choix en cohérence avec qui nous sommes et que nous avons appris à distinguer ce sur quoi nous pouvons agir de ce sur quoi nous ne pouvons pas. Pour le reste, il s’agit de se maintenir dans l’acceptation totale de ce qui est.

Quant à être coupés du monde, certainement pas, certainement moins qu’avant. Mais coupés du bruit du monde, oui. Bien que cela me semble moins dépendre du voyage que d’une posture intérieure. Nous vivons les tensions géopolitiques, mais au-delà du bruit, du très grand bruit. Nous les ressentons plus que nous ne les analysons et la réalité que nous rencontrons est plus nuancée et vivante que les ombres qui nous sont projetées.

L’appel

Concernant le courage, Marc le dit très bien : “le courage, c’est au moment du choix, le reste n’est que contingences…”. Tout tient toujours dans les choix. Alors comment tentons-nous de les faire, ces choix, nous a-t-on récemment demandé ? En nous mettant à l’écoute. En faisant taire le plus possible ce mental bavard si prompt à sauter sur le moindre os à ronger (peurs, doutes…). En apprenant à faire la distinction entre ce que l’on veut parfois, nous, en tant qu’individus et là où, au fond, on se sent appelés à aller. Et parfois ce n’est pas du tout dans la même direction, y compris géographique !

Écouter l’appel en soi et y répondre au-delà de la peur de perdre en comfort. Oui, c’est cela se remettre au rythme du vivant en nous. C’est parfois accepter une situation en apparence moins confortable mais qui toujours viendra nous enseigner au-delà de nos attentes, ouvrant en nous des perspectives et des chemins inespérés.

Le saut de la foi

L’absence d’obstacles ou de défis ne signe pas nécessairement la voie du bon chemin. Ce que l’on appelle alors “courage” est peut être plus, tout simplement, une confiance et une foi en la vie toujours renouvelées y compris dans les moments difficiles.

Nous sommes tous, sur nos chemins, en apprentissage, nous sommes tous appelés à voir au-delà de nos pensées, de nos émotions, pour nous hisser de nouveau par delà ces voiles qui déforment le réel et auxquels nous avons fini par nous identifier. Et au bout ? Au bout, il se pourrait bien que ce que l’on y trouve ne soit rien d’autre que l’Amour. Pour et en toute chose. Le courage, la liberté, ne tiennent pas alors dans chaque coup de pédales effectué sur une route du monde mais dans la confiance et la foi que chacun de nous peut mettre en acte en choisissant chaque jour de s’élever, d’aller là où il se sent appelé. Que ce soit à vélo ou pas.

Et l’erreur, qui nous fait si peur, n’est pas toujours signe d’un problème d’aiguillage. Elle fait parfois partie du chemin d’apprentissage pour affûter notre écoute intérieure. Réapprendre à se mettre au service de la vie plutôt que de chercher à plier la vie pour qu’elle se mette à notre service. Il me semble que c’est comme cela que nous sommes au plus juste et que l’on peut construire un monde différent, un monde de paix où il nous est rappelé chaque jour que l’autre que je rencontre est toujours, sans exception, un autre moi-même.


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