Lac de Jandari

Frontière liquide

Écrit par Marc pour le .

Le vent s’est tu, nous pouvons repartir. Nous longeons l’immense zone industrielle, le centre pénitentiaire et roulons tranquillement vers გარდაბანი (Gardabani). Quelques courses et nous tirons vers l’est. Nous avons repéré un lac qui fait la frontière avec l’Azerbaïdjan et espérons pouvoir y poser la tente.

Le temps est magnifique. Nous passons à côté de cette statue colossale en béton d’un homme se confrontant à un bison à mains nues face à la base militaire soviétique abandonnée. Cette statue me fait forte impression. Elle doit sans doute vouloir montrer à quel point l’homme est puissant et courageux. Elle me renvoie surtout à un sentiment de vacuité, de vanité qui en devient comique. De voir cette image décrépie et mal proportionnée m’évoque aussi cette masculinité toxique sur-gonflée à la testostérone qui fleurit à nouveau un peu partout dans le monde et dont la superbe supposée est bel et bien éphémère. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie, Ronsard n’a-t-il rien écrit pour les suprémacistes en déclin ?

Pas le feu au lac

Nous arrivons au bord du paisible lac. Le hameau de მზიანეთი (Mzianeti) accueille une petite épicerie dont il faut sonner la propriétaire pour qu’elle en ouvre la porte.

La tente est posée. Léon est déjà au bout de sa canne à pêche. Le magnifique peuplier abrite les vaches du soleil. Tout est calme et paisible.

En face, à quelques coups de rames, l’Azerbaïdjan, inaccessible. Les frontières terrestres du pays sont fermées depuis 2019 et sa pandémie. Nous ne pourrions nous y rendre que par avion. Option abandonnée avant même de vérifier comment ce serait possible… Imaginer nous rendre à vélo à un aéroport, défaire les centaines de kilogrammes de bagages, empaqueter chaque vélo dans une boite, retrouver les enfants qui sont allés jouer sur les tapis roulants, non, clairement, l’avion, ce n’est pas encore pour nous.

Tôle chique dans les prés

Nous allons flâner un peu ici. Profitant de cette pause, je vais tenter de bricoler une pièce pour notre réchaud. Le séparateur de flammes en cuivre que m’a bricolé mon expert en soudure ne résiste pas aux hautes températures. Je le savais quand il me l’a fait, mais je ne sais pas dire “auriez-vous un acier un peu épais, résistant aux très hautes températures, afin de réaliser, gratuitement, cette pièce sophistiquée pour que nous puissions cuisiner au quotidien s’il vous plait” en Géorgien. En revanche, la soudure tient bien.

Je pars à la recherche de matière première : un bout de métal ferreux suffisamment épais mais pas trop pour que je puisse le découper avec mon outillage rudimentaire. Je déambule dans le village et finis par trouver ce que je cherche. Quelques bouts de trucs trainent au sol avec plusieurs morceaux de ferraille. Un groupe de femmes discute à proximité, je leur demande si je peux prendre les morceaux. Me voilà invité avec la famille à venir prendre un café le lendemain avant de partir.

Le mélange de Russe, d’Anglais, de Géorgien que nous parlons avec Djouli me permet de comprendre que ce n’est pas une proposition. Son regard franc et direct laisse transparaître un caractère très amical et bien trempé. Comme de l’acier. Qui me permettrait de faire un très bon séparateur de flamme. Mais je ne sais pas le dire en Géorgien, ni en Russe, ni vraiment en Anglais d’ailleurs. Mais peu importe, ce n’est plus le sujet.

Bricolage et petit déjeuner

De retour à la tente, je m’atèle à la tâche et raconte ma rencontre. Je parviens à réaliser un séparateur de flamme franchement pas mal vus les moyens alloués.

À la nuit tombée, alors que nous mangeons (chaud, grâce à mon nouveau séparateur de flamme), des lumières se dirigent vers nous. Aïe, va-t-on être délogé ? La proximité de la frontière poserait-elle soucis ?

Non, c’est Djouli et sa sœur Regina qui viennent nous rendre visite et s’assurer que nous ne manquons de rien. Et nous sommes attendus demain matin pour le café. Sans faute.

En guise de café, c’est un festin qui nous est offert au matin !

Nous avions plus ou moins prévu de partir aujourd’hui, mais j’ai finalement reçu des nouvelles du colis que nous avions commandé il y a un mois et demi. Cela signifie que je suis bon pour faire un aller-retour en Arménie pour récupérer le fameux colis.

Voyage voyage

Je me lance donc dans l’organisation de cette mise en abîme. Organiser un voyage dans le voyage. Nous partageons nos préoccupations avec Givi, le fils de Djouli devant une table couverte de mets faits maison.

Pas de problème ! Il m’emmène en voiture jusqu’à რუსთავი (Rustavi), me mets dans le bus qui va à თბილისი (Tbilisi), PAYE LE BUS (?!) et dit au chauffeur où m’arrêter pour que je puisse prendre un bus pour Gyumri où mon colis m’attend. Je devrais y être ce soir et retour demain. Nickel.

Mais non, en fait.

Plus de place dans le bus pour l’Arménie, revenez demain matin. Ah mais le bus ne va pas à Գյումրի (Gyumri), il va à Երևան (Yerevan), mais si vous vous arrêtez à Սպիտակ (Spitak), vous prendrez un taxi ou un autre bus et vous irez jusqu’à Gyumri.

Je suis bon pour déambuler dans Tbilisi et trouver un lit où dormir cette nuit. C’est très mignon Tbilisi et j’ai trouvé un lit pas trop loin de la gare routière où je dois être le lendemain matin à 7h15.

Colis furtif

Je suis très heureux de retrouver Anush, la collègue d’Artush, dans le café / restaurant Herbs and Honey à Gyumri. J’en fais mon quartier général pour récupérer mon colis.

Malheureusement, le colis n’a pas pu être livré car Gagik n’est pas chez lui. Gagik est la personne que j’ai contactée par couchsurfing pour avoir une adresse de livraison lorsque nous avons commandé le colis. Nous ne le connaissons pas, mais, habitué à côtoyer des voyageurs, il s’est volontiers prêté au jeu.

Avec son aide à distance et celle d’Artush sur place, je finis par récupérer le colis le lendemain en début d’après-midi. Si vous avez suivi, cela fait plusieurs repas, cafés et délicieuses pâtisseries que je suis OBLIGÉ de déguster dans mon quartier général éphémère. J’hésite presque à dormir une nuit de plus à Gyumri pour être obligé de continuer à fréquenter Herbs and Honey, mais je peux attraper un bus qui me remmène à Tbilisi où j’arrive de nuit, où je retrouve mon lit et d’où je peux rejoindre ma famille le jour suivant, bien fatigué.

Coqs en pâte

Durant mon absence, Estelle et les enfants ont été bichonnés par Regina et Djouli (qui sont sœurs et voisines). Lorsque je les retrouve, je suis directement propulsé devant une table bien garnie chez Regina, bichonné à mon tour, alors que les enfants digèrent leur petit-déjeuner devant un dessin animé soviétique, un sourire béat aux lèvres.

Encore un peu de bricolage, l’accès à d’autres outils me permet de réaliser un second séparateur de flamme encore plus perfectionné. Le déballage de tous les paquets, l’installation du nouveau porte-bagages super costaud pour remplacer le défaillant maint fois réparé… qui prend beaucoup plus de temps que prévu, ce qui nous ramène à un autre repas, le lendemain midi, tout aussi délicieux. Mais quelle générosité ! Quelle attention !

Nous sommes, une fois de plus, emplis de gratitude pour la vie que nous menons et pour les rencontres que nous faisons. Nous laissons nos nouveaux amis pour prendre la direction des montagnes arc-en-ciel…

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