Le départ tardif n’aidant pas, la longue côte, bien que légère, n’est pas du goût des enfants qui peinent à se remettre à pédaler. Mais c’est la vie, notre vie, alors nous avançons.
Le paysage est dépouillé, rasé, aride. Les lits secs des cours d’eau sont explicites. Il est des conditions météorologiques où la puissance de l’eau doit être terrible. En témoigne ce pont détruit qui complique légèrement la traversée à gué d’un profond et étroit ruisseau.
Nous avançons péniblement sur le chemin caillouteux, arrivons à la tombée du soir au bord du lac artificiel au milieu de nulle part où nous souhaitons passer quelques nuits. Ici se dressent en effet les fameuses montagnes arc-en-ciel. Un lieu digne d’intérêt selon notre amie Rebecca. Et si Rebecca le dit, c’est que c’est vrai. Mais là, il fait presque nuit, alors il faut vite monter le camp.
Somewhere over the rainbow 🎵
Nous marchons jusqu’à leur pied, nous les grimpons, croisant les touristes, géorgiens ou non, qui viennent les découvrir également. Ils sont arrivés en petits vans, c’est le weekend. Nous croisons Andreas dans son van, un voyageur allemand qui était là depuis quelques nuits et qui s’en va maintenant qu’il y a plus de monde. Il nous montre avec émerveillement quelques photos incroyables du parc de ვაშლოვანი (Vashlovani), aiguisant notre envie d’aller jusque là-bas.
Puis nous entamons l’ascension des montagnes arc-en-ciel. Les strates géologiques friables dessinent en effet des stries colorées du plus bel effet dans ces immenses bosses impressionnantes. Une fois passée la zone la plus accessible, la relative affluence n’est absolument plus gênante. Nous évoluons sur les crêtes escarpées pour entamer le tour du lac artificiel qui est au plus bas.
L’état des sols, de cette terre craquelée en écailles colorées dans ces pentes abruptes, nous invite à réfléchir au phénomène de l’érosion, au caractère éphémère du paysage que nous arpentons, à imaginer la différence d’effet entre une pluie douce ou forte sur un tel sol.
Clairement, très peu de monde fait le tour du lac. Le sentier disparaît dans une végétation basse et sèche, mais quelle balade magnifique. Elle nous invite à nous déposer sur la rive opposée offrant un terrain de jeu idéal pour les enfants : du soleil, de la boue, de l’imagination, le bonheur.
Rien
Notre campement est à l’écart. Il n’y a rien autour. Du moins, rien de ce que le monde pressé vante. Deux chiens faméliques viennent nous rendre visite à l’heure des repas. Ils viennent de la ferme abandonnée plus haut. Une canalisation percée nous offre un petit jet d’eau qui nous sert de douche et nous permet de remplir nos gourdes. Et puis le silence. La tranquillité. Ne rien faire que de vivre, simplement. Nous sommes bien.
Mais nos vélos ne nous permettent pas de transporter des vivres pour une semaine alors il nous faut partir. Perdu encore un peu plus loin, il y a უდაბნო (Udabno). Un petit village qui nous servira de camp de base pour aller visiter le complexe de monastères de David Gareja (ou Gareji, on ne sait pas bien, sans doute un méfait de l’accusatif sur nom propre, sale affaire, il faudra enquêter).
Entre les collines
Le chemin caillouteux en pente douce n’est toujours pas du goût des enfants, mais nous avançons. Nous passons à gué des canyons impressionnants quasiment à sec. Le paysage est magnifique, puissant. Il s’en dégage une énergie rude et minérale mais tout de même accueillante. La vie ne doit pas être facile tous les jours dans les quelques fermes esseulées que nous distinguons de loin en loin. L’eau que nous filtrons dans les maigres filets d’eau pour remplir nos gourdes est très chargée en sels minéraux.
Les enfants font tour à tour appel à leur volonté et à leur détermination, déployant des stratégies pour se motiver individuellement ou se soutenir mutuellement. L’un s’effondre car c’est trop dur et quelques minutes plus tard a su trouver les ressources en lui et dépasse tout le monde, l’autre va chercher des chemins parallèles dans l’herbe pour éviter les cailloux, ou roule avec adresse dans les traces étroites dessinées par les vaches… Quelle école !
Nous arrivons à Udabno et considérons que nous avons bien mérité une petite collation. Nous trouvons un café/restaurant très charmant qui nous accueille pour un rafraîchissement. Puis pour un repas. Puis pour poser la tente dans le jardin. Voilà notre domicile, notre camp de base.
Gareji sous surveillance
Après une journée de repos, il est temps d’aller visiter le fameux monastère. Il paraît que ça vaut le détour. Nous laissons toutes nos affaires autour de la tente et partons à vide à l’assaut des quelques kilomètres qui nous en séparent et qui débutent par une bonne côte.
Arrivés au sommet de la côte, Léon se demande en regardant la carte pourquoi la route fait un tel détour, ça ne lui semble pas très malin.
Mais quelle idée d’aller bâtir un monastère, qui plus est au VIè siècle, au fin fond de ces montagnes accidentées ! Peut-être le même sentiment d’apaisement que nous avons ressenti, la même perception de l’énergie des lieux… Léon en arrivant m’indique qu’il pense avoir compris pourquoi la route fait autant de détours, employant le chemin le moins difficile, déjà bien assez sportif pour tous. Les ingénieurs ponts et chaussées géorgiens reprennent du grade.
Le lieu est très impressionnant, le monastère principal magnifique. Fiché dans la montagne, il est en partie troglodyte et est coiffé par des crêtes abruptes qui font la frontière avec l’Azerbaïdjan. De l’autre côté, parait-il, se trouvent d’autres monastères tout aussi, voire plus magnifiques, grottes ornées et fresques. Nous suivons le panneau nous indiquant l’une des grottes, déployons nos talents de cabris pour serpenter entre les arbustes et tombons sur des militaires nous accueillant avec armes et treillis. L’un d’entre eux nous précède vers la grotte autorisée, indiquant clairement que la limite est là et que nous n’irons pas plus loin. Ses arguments laconiques sont assez persuasifs.
En redescendant, nous avons la bonne surprise de retrouver Ira, une jeune femme russe que nous avions rencontrée à მარტვილი (Martvili). Les retrouvailles sont joyeuses. Elle habite désormais თბილისი (Tbilisi) où elle travaille dans un café. Elle parcourt la Géorgie avec sa tente et son sac-à-dos dès qu’elle le peut. Elle est accompagnée par Sen, un ami japonais vivant à Amsterdam. Nous partagerons le repas du soir avec eux avec grand plaisir dans “notre” restaurant.